Le yoga sûtra de Patanjali est un texte traditionnel de yoga compilé il y a deux millénaires. C’est de loin le texte le plus connu et aussi le plus étudié dans les écoles de yoga.
Le texte propose de nombreuses indications fort éclairantes quant au but du yoga et le défini dès le deuxième aphorisme avec : « Yogascittavrttinirodhah »
Qui est généralement traduit ainsi : « le yoga est l’arrêt des modifications du mental ».
Et propose divers méthodes pour y arriver.
Pour autant il n’enseigne pas de techniques d’âsana ou de pranayama comme le font par la Gueranda Samhita ou certaines Upanishades. Il propose toutefois certaines méditations.
Composition des yoga sûtra
Le texte est composé de 195 aphorismes. Un aphorisme est une figure de style littéraire.
Exemple :
33. Le mental se purifie en cultivant l’amitié, la compassion, la joie, la paix quelles que soient les situations, dans la douleur, dans la pureté ou l’impureté.
34. Ou bien par la suspension du souffle expiré
Les aphorismes de Patanjali sont répartis dans 4 chapitres.
Yoga sûtra, chapitre 1 : Samadhi pada, la vraie nature du yoga
Patanjali expose en premier lieu le but du yoga. Puis il donne une brève explication de la nature de notre mental et de ce qu’il cache, le soi. Cette explication est plutôt difficile à comprendre. Elle requiert, en principe, de la part de l’étudiant qu’il ai assimilé les principes du Samkhya.
Le Samkhya est un autre texte traditionnel du yoga. Il décrit principalement la nature de l’homme. Ces principes vont de paire avec le texte de Patanjali. Il faut idéalement avoir étudié ce texte pour pouvoir aborder les yoga sutrâ.
En outre ce chapitre introduit la notion de guna, concept que nous pouvons étudier dans le Samkhya ou la Bhagavad Gita par exemple.
Puis les prochains aphorismes décrivent les obstacles à la pratique du yoga et donnent quelques indications précieuses pour les éviter.
Yoga sûtra, chapitre 2 : Sadhana pada, du chemin spirituel
Dans ce chapitre Patanjali décrit en premier lieu les sources de souffrance Klesha dont les humains sont affectés. Il introduit le dieu Ishvara que l’on peut assimiler au principe suprême exposé dans le Samkhya sous le nom de Purusha.
On y découvre ensuite l’exposé des 5 premières étapes bien connues du Raja Yoga que nous allons décrire brièvement. Ces étapes sont dites « extérieures ». Ceci signifie qu’elles préparent le mental à l’intériorisation pour que le yogi devienne apte à réaliser les pratiques « intérieures ».
Yama : les réfrènements
Le yoga sutra propose de s’imposer divers refrènements pour calmer notre nature. L’intention des Yama est souvent mal interprétée et vue uniquement sous un aspect « moral ». Les occidentaux ayant généralement baigné dans l’influence judéo-chrétienne les assimilent aux dix commandements moralisateur de Moïse. Il est important de noter que ces derniers ne sont pas demandés dans toutes les voies du yoga.
Le yoga sutra expose 5 yama. On peut en découvrir d’autres dans certaines Upanishades.
Ahimsâ : la non-violence
Qui propose de s’abstenir d’actes ou pensées violentes envers toutes les créatures vivantes. Vu comme le plus important des yama, il propose de refréner nos instincts primaires. Il est souvent pratiqué « extérieurement » par les pratiquants de yoga, plus rarement « intérieurement ». Il est en effet bien difficile de s’abstenir de toute pensée violente. Ceci demande une compréhension profonde de la vraie nature des choses et une attention soutenue à nos pulsions et pensées.
Satya : la véracité
Ce refrènement demande aux yogis d’avoir une parole impeccable. Dire les choses telles quelles sont et ne pas causer de tort par ses paroles.
Asteya : l’honnêteté
S’abstenir de voler autrui, ses possessions comme ses mérites.
Brahmacarya : la continence
Propose aux yogis de s’abstenir de sexualité. Lors d’un orgasme une grosse énergie est libérée et perdue. Elle n’est donc pas mise au profit de la pratique.
Il faut bien comprendre que le chemin de pratique proposé par les yoga sutra concerne généralement ceux qui ont fait vœu de renoncement. Des personnes qui pratiquent constamment. Un professeur de yoga n’est pas un yogi dans le sens noble du terme. Il est aussi bon de rappeler qu’il n’y a pas qu’une seul voie dans le yoga.
Aparigraha : la non possession
Le texte parle surtout ici de possessions matérielles. Un détachement vis à vis des objets des sens permet d’éviter bien des troubles.
Niyama :les disciplines
Les disciplines mettent le pratiquant en action. Après que ce dernier, par l’application des yama évite les sources de souffrance. Avec niyama le yogi va augmenter son énergie, se créer un mental et une santé hors du commun. Le yoga sutrâ en donne 5 tandis qu’a nouveau les upanishades en décrivent le double.
Śauca : la purification
Tant intérieure qu’extérieure. Elle demande au yogi une hygiène tant physique que psychique. Faire attention aux pensées que l’on cultive. Et surtout faire attention à ce que l’on consomme. D’autres textes traditionnels exposent la diététique appropriée pour la pratique du yoga.
Samtosa : le contentement
Ce niyama développe l’intention décrite par Śauca. Il demande au yogi un état d’équanimité dans ses réactions face aux événements qu’ils soient heureux ou malheureux. Une compréhension profonde de la nature des choses est nécessaire pour l’appliquer.
Tapas : l’effort sur soi
Tapas demande aux yogis de dépasser certaines limitations de la nature. En effet nous sommes souvent le jouet de nos pensées et de nos énergies du moment. Il convient de dépasser les moments de fatigue et d’égarement et d’allé au delà.
Svādhyāya : l’étude des textes sacrés
Ce niyama propose aux yogis d’étudier les textes. L’intérêt est multiple. Il développe les capacités de concentration. Les textes permettent de comprendre la nature des choses. Et enfin ce travail permet de resté focaliser sur le but, les pensées et les réflexions restent tournées vers le yoga.
Isvarapranidhana : la dévotion au seigneur
Ce niyama demande aux yogis de resté focaliser sur leur but, la rencontre avec le soi, appelé ici Ishvara. Il demande de cultiver la foi et de résister au découragement provoqué notamment par la difficulté de la voie empruntée.
Âsana : les postures
Les postures doivent être stables et agréables et tenues longtemps avec les gestes appropriés : Bandha et mudrâ.
Pour une étude plus approfondie des postures de yoga voir cet article sur les âsanas.
Pranayama : le contrôle du souffle
Le pranayama est la clé du yoga. Il permet au yogi de se nettoyer du karma accumulé et d’augmenter ses énergies subtiles ou vibrations. Un pratiquant empli du feu du pranayama peut entrer dans les états méditatifs les plus profonds.
Pratyahara : le retrait des sens
Nos sens commencent à s’éteindre comme lorsque l’on commence à rentrer dans le sommeil. Cependant, l’énergie accumulée par les pratiques précédentes va permettre au yoga d’entrer dans un autre état que le sommeil.
Yoga sûtra, chapitre 3 :Vibhuti Pada, la vrai nature du yoga
Ce chapitre commence par décrire les 3 dernières étapes du yoga, les membres extérieurs.
Dhâranâ : la concentration
Le premier membre du yoga intérieur est la dhâranâ, c’est a dire la fixation de l’esprit pendant un certain temps sur une seule pensée, un seul sentiment, un seul objet ou un seul endroit.
Dhyana : la méditation
La concentration étant bien établie le pratiquant va pouvoir rentrer en méditation.
Cette étape est décrite ici : « méditation et yoga. »
Samadhi : la réalisation
Nous atteignons ici le but du yoga. Dans cet état la rencontre se fait avec Ishvara, avec le soi.
Patanjali introduit aussi la notion de Samyama, la convergence qui englobe les 3 derniers membres en une seule et même technique.
Le texte propose ensuite plusieurs supports de concentration à prendre pour appliquer Samyama.
Les concentrations proposées donnent aux yogis certains « siddhi » des pouvoirs mystiques.
Yoga sûtra, chapitre 4 : Kaivalya pada, de l’émancipation
Ce chapitre aurait apparemment été rajouté quelques siècles plus tard. En analysant le texte nous découvrons qu’il est écrit différemment des chapitres précédents. Certains invoquent des raisons politiques qui seraient liées notamment à l’émergence du bouddhisme.
Confusions générales
Comme souvent avec les textes religieux, la complaisance et les interprétations personnelles créent une confusion et une ignorance dont il est difficile de se défaire.
Le texte de Patanjali n’est pas épargné.
Il est important de prendre en considération que ce texte est composé pour des ascètes ou renonçant, des personnes qui ont pour seul but ce qu’on appel communément : l’éveil.
La majorité des pratiquants de yoga ne retient du texte que les yama, les refrènements. Plus particulièrement celui concernant la non-violence.
L’humain est ainsi fait. Il focalise sur ce qui lui parle (lien avec les 10 commandements). Ce sur quoi son personnage va pouvoir s’enorgueillir d’une morale supérieure aux autres.
Et surtout ce qui est facile à appliquer. Il est très facile de ne pas user de violences dans nos sociétés occidentales…
Un sage bien avisé disait d’ailleurs : la non violence pour un lapin n’a aucune valeur. Par contre pour un lion elle crée une énergie d’une grande force.
Le yoga sutra : un système dualiste
Le yoga sutrâ décrit le monde en se basant sur un système dualiste. Les concepts de dualité et de non dualité sont souvent comprit totalement de travers. Il convient ici de préciser de quoi il retourne.
Patanjali se base sur la conception de l’univers décrite dans le Samkhya qui propose une séparation entre le soi et la manifestation.
Le samkhya appel le soi: Purusha et le dit séparé de la manifestation, Prakriti.
Ce qui s’oppose avec par le vedanta ou le tantrisme qui sont eux des systèmes non dualistes. Pour eux la manifestation provient du soi (dieu, Brahman, Ishvara, Shiva).
Quand les voies indienne parlent de dualité et de non-dualité elles le font pour décrire l’univers et son créateur. Elles ne parlent pas de concepts de non jugement ni de morale.
Liens avec les autres textes traditionnels
Nous l’avons vu plus haut, le texte de Patanjali est inséparable des strophes du Samkhya Karika.
Toute formation de professeur de yoga qui aborde les yoga sûtra devrait en parallèle apporter des éléments du Samkhya si elle veut que ses élèves soient porteur de connaissances précises.
Plusieurs des upanishades, plus particulièrement celles du yoga basent leurs explications sur le raja yoga exposé par les yoga sutra.
Quelques exemples :
- Advaya Taraka Upanishad : qui explique l’essentiel du raja yoga
- Amrita-Nada Upanishad : celle-ci propose un yoga en 6 étapes le Sadanga yoga
- Jabala Darshana Upanishad : qui propose notamment 10 yama et 10 niyama
- Kshurika Upanishad : « ainsi qu’une tortue qui rétracte ses pattes il faut rétracter tes sens (pratyahara) et enclore le mental (manas) à l’intérieur du cœur« .
- Shandilya Upanishad : qui se réfère aux huit membres en proposant 10 restrictions, yama et 10 injonctions niyama et décrit 8 postures essentielles.
- Yoga tattva upanishad : ressemble beaucoup au yoga sûtra mais développe d’avantage le côté pratique.
Termes sanskrits à connaître
Le yoga sûtra utilise de nombreux termes qu’il est utile de connaitre quand lorsque nous étudions les voies du yoga. Ci-dessous sont notés les termes qui sont souvent employés comme tel sans être traduits en français.
- avidya : ignorance
- buddhi : intellect
- chitta : psyché
- guna : les 3 qualitées de l’énergie qui sont sattva, raja et tamas
- manas : le mental
- nidra : le sommeil
- purusa : le soi
- samskara : impressions latentes de l’esprit
- sattva : une des trois qualitées de l’énergie (guna)
- smrti : mémoire
- tattva : principe, une étude en des principes est faite dans le Samkhya
- vrtti : modifications de l’esprit
Patanjali
Rien n’est établi quant à l’identité de l’auteur des yoga sûtra hormis son nom.
Il est vu tantôt comme un personnage mythique.
Et tantôt comme un groupe de plusieurs auteurs.
Commentateurs
Le yoga sutrâ est un texte très concis qu’il n’est pas possible de comprendre simplement à sa lecture. De nombreux commentateurs indiens ont laissé des écrits pour aider les disciples à les interpréter avec justesse. Trois des commentateurs sont réputés pour avoir donné les commentaires les plus précis et profonds.
Vyasa
Personnage légendaire, semi-divin. Apparaissant pour la première fois dans le Mahabharatha en tant que protagoniste. Il est aussi considéré pour être celui qui l’a compilé. Il aurait aussi écrit les Veda et les Purana.
Enfin son commentaire des yoga sutrâ est appelé le Yoga Bhashya. C’est en se référant à ce commentaire que les autres commentateurs ont écrit les leurs.
Bhasya signifie commentaire.
Vacaspati Misra
Maître de l’Advaita Vedanta qui aurait vécu entre 900-980. Il fit notamment un brillant commentaire du Samkhya le Tattvakaumudi et le Tattva-vaisâradi à propos des yoga sûtra.
Bhoja
Commentateur atypique, Bhoja était en effet membre de la caste des kshatriya, des guerriers et aussi roi de son royaume. Bhoja régna de 1010 à 1055. Il était connu pour sa bienveillance, sa diplomatie, sa tolérance envers les diverses religions pratiquées dans son royaume. Il était lui même Shivaïte.
Malgré qu’il ne soit pas de la caste des Brahmanes comme les deux précédents et son commentaire des yoga sûtra est des plus respectés. Les points de vue qu’il apporte complètent merveilleusement ceux des deux précédents.
Traducteurs des yoga sûtra
Les francophones ont la chance d’avoir de nombreux brillants chercheurs et pratiquants qui ont traduit les yoga sûtra. La liste suivante n’est pas exhaustive.
- La voie du yoga de Jean Papin qui propose une traduction brillante. Dans son livre Jean Papin ne commente pas directement le texte. Toutefois il explique les points les plus importants mais après la traduction. S’y ajoute des apports du Samkhya et du tantrisme.
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- Jean bouchard d’Orval propose une traduction des yoga-sutra agrémentée de commentaires et de réflexions.
- Philippe Geenens propose une traduction des commentaires de Bhoja avec au préalable l’histoire du personnage.
- Ci-dessous le Yogabhasya, les commentaires de Vyasa par Pierre-Sylvain Filliozat
Découvrez aussi cet article réalisé par Jacques Perrin qui est probablement une des études les plus complètes sur le sujet : « étude des yoga sutra« .
Quels sont les Yamas et Niyamas supplémentaires proposés par le Jabala Darshana Upanishad et le Shandilya Upanishad?