Bien qu’ils aient été contemporains, ces deux maîtres, qui eurent de nombreux disciples occidentaux, semblaient aux antipodes l’un de l’autre.
Conjuguant tradition et évolution, Orient et Occident, Sri Aurobindo proposait dans ses livres un projet d’avenir grandiose pour l’humanité tout entière. Râmana Mahärshi quant à lui parvenu par lui-même et sans aide au stade suprême de « libéré vivant », n’enseignait que par son exemple et sa présence.
Sri Aurobindo
Né en 1872 à Calcutta, fils d’un médecin bengali, Aurobindo Ghose fit toute ses études en Angleterre, de 1879 à 1893, les terminant à l’université de Cambridge.
À son retour en Inde, il étudia profondément les grandes traditions de son pays, qu’il avait jusqu’alors méconnues. Athée en Angleterre, Aurobindo retrouva dieu dans la philosophie hindoue. Convaincu que l’Inde devait réacquérir avec l’indépendance sa véritable identité, il devint un nationaliste extrémiste, sans cesser de pratiquer le yoga, qui lui donnait sérénité et maîtrise de soi. Arrêté en 1908 pour acte de terrorisme, Aurobindo passa un an en prison. Puis en 1910, il réussit à gagner Chandemagor et vint s’établir à Pondichéry, alors territoire français, où il se voua à la composition de son œuvre. Des disciples vinrent vivre auprès de lui et de sa compagne, qui en 1926 prit la direction de l’âshram, tandis que Sri Aurobindo entrait dans une retraite, dont il ne sortait qu’une fois l’an pour paraître en public. Sri Aurobindo mourut en 1950 dans son âshram de Pondichéry.
« Mère »
En 1920, Mira Alfassa (1878-1975), née française et élevée à Paris mais de mère égyptienne et de père turc était venue s’établir définitivement auprès de lui. Devenue sa compagne elle l’assista, puis sous le nom de « Mère », régna sur l’âshram de Pondichéry, pratiquant et enseignant le « yoga intégral ». En 1968, elle fonda à quelques kilomètres de Pondichéry, Auroville, sorte de cité internationale qui, selon sa volonté, devait devenir le « laboratoire de l’évolution nouvelle ». Elle mourut en 1975 à Pondichéry. Sri Aurobindo est l’auteur de nombreux livres rédigés en anglais, où il commente et réactualise les textes sacrés de l’hindouisme : les plus importants ont été traduits en français : La Synthèse des yogas (1939) ; Le Guide du yoga (1951) ; La Vie divine, 4 volumes (1955-1959) ; Le Secret du Veda (1975). Il est aussi l’auteur de commentaires sur la Bhagavad-Gîtâ (1962) et sur Trois Upanishad (1949), ainsi que sur Heraclite.
Le yoga intégral
Très attaché à la pensée non dualiste de L’Inde, mais nourri de philosophie occidentale, Sri Aurobindo se préoccupe surtout de son futur développement au contact de la science moderne. Aussi son œuvre tente-t-elle d’exprimer une « nouvelle synthèse », capable de concilier rationalisme et mysticisme, action et contemplation, science occidentale et sagesse orientale. Pour Aurobindo, Dieu, qui est à la fois transcendant et immanent, apparaît à l’homme surtout en tant que conscience cosmique se manifestant dans l’espace et le temps. Le monde résultant du « jeu cosmique », l’homme doit parvenir, grâce à ses potentialités non encore utilisées qu’il peut atteindre grâce à la pratique des différents yogas, à établir en lui-même et sur la terre la « vie divine ». Cette mutation devrait aboutir à un nouveau type d’humain, le véritable « surhomme ».
Râmana Mahârshi
Né en 1879, à Tirucculi, petite ville au sud de Madurai, en Inde du Sud, Venkataraman Aiyer fit ses études au lycée américain de la ville. À ses fidèles, il devait confier : « Je n’ai rien lu. Mon savoir se limite à ce que j’ai appris jusqu’à l’âge de quatorze ans. Toutes mes études ont été accomplies dans mes naissances antérieures et j’en ai été rassasié. À dix-sept ans, alors qu’il se trouvait parfaitement tranquille dans sa chambre, il vécut soudain avec une angoisse terrible l’expérience de sa propre mort, puis « contempla » la source divine de son être, le « Soi » immortel opposé au corps qui seul vit et meurt, au « moi » impermanent et changeant. De cette révélation spontanée, Râmana Mahârshi ne reconnut que beaucoup plus tard la conformité avec les enseignements de la philosophie mystique hindoue. Peu après en 1896, un appel intérieur l’obligea à tout quitter pour se retirer dans une grotte au flanc de l’Arunâchala, montagne sacrée située près de Tiruvannamalai, à l’ouest de Pondichéry. Mais bientôt, les pélerins furent attirés par cet ascète transfiguré, vivant dans une perpétuelle extase, que ses disciples dénommèrent Mahârshi, « Grand Sage ». Il fallut construire deux âshrams pour recevoir ceux, qui affluaient non seulement de l’Inde, mais aussi des pays occidentaux, où la renommée du saint homme s’était répandue. Râmana Mahaârshi est mort à Tiruvannamalai en 1950.
L’évangile de Râmana Mahârshi
Râmana Mahârshi n’a rien écrit, mais son entourage a noté ses entretiens avec ses disciples, publiés sous le titre de L’Évangile de Râmana Mahârshi, traduit en français en 1970. Des grands maîtres contemporains de l’hindouisme, le Mahârshi se distingue par le fait qu’il n’appartenait à aucune lignée et n’a point connu de maître. Vivant dans la solitude, il n’a jamais cherché à enseigner. À ceux qui venaient le trouver et l’interrogeaient, il ne répondait que par une question : « Qui êtes-vous ? ». Il les incitait ainsi à découvrir en eux-mêmes leur véritable et profonde personnalité, identique au « soi », à l’atman, c’est à dire à la pure réalité, au principe universel que tout humain possède en lui. Pour lui, le rôle du gourou consistait essentiellement à ramener son disciple à son état originel. Il le prévenait ainsi de tout nouvel éloignement de cet état. En les amenant à reconnaître la seule réalité du « soi », le Mahârshi libérait ses disciples de leurs angoisses et de leurs souffrances, nées de l’illusion d’un égo personnel séparé. Pour lui, le mal dans le monde provenait de cet égoïsme qui ignore les autres.