Quand il vise l’accès à la méditation profonde, le pratiquant de yoga peut adopter les 8 étapes ou anga qui facilitent cet accès. La première étape, Yama, propose divers refrènements à adopter pour dompter nos impulsions naturelles. Le yoga considère que l’humain est le jouet de ses impulsions. Si elles ne sont pas sous contrôle celles-ci vont être des obstacles majeurs sur son chemin.
Le texte des yoga-sûtra propose 5 refrènements à mettre en place. En étudiant le corpus de textes des upanishad, nous allons en découvrir d’autres qui vont compléter les premiers et affiner notre compréhension et leurs applications.
Yama, les 5 refrénements des yoga-sûtra
Ahimsâ : la non violence
Cette intention concerne l’abstention de tout comportement violent. Mais Ahimsâ propose surtout d’écarter toute nocivité dans nos pensées, nos paroles et nos actions.
Il n’est pas bien difficile de s’abstenir d’actions violentes. Par contre, quand il s’agit des pensées ou des émotions, l’exercice devient bien plus délicat. En faisant attention au flux de nos pensées, nous pouvons vite prendre conscience. En étant honnête avec nous-même, que nous sommes souvent emplis de violence (jalousies, colères, etc).
Patanjali à travers le yoga-sutrâ propose ceci pour pacifier nos pensées :
Les erreurs, violences et autres, que l’on commet soi-même, que les autres font ou approuvent, s’accompagnent de cupidité, de colère, ou d’égarement . Leurs effets aboutissent tous à l’obscurantisme et à la douleur c’est pourquoi il faut leur opposer la pensée inverse.
Ce yama propose d’appliquer un végétarisme stricte. Pour autant, il n’est imposé qu’aux Brahmanes. Il n’est en effet pas demandé aux autres castes de contrôler leurs appétits.
Satya, ne pas s’écarter de la vérité
Satya demande aux yogis une congruence parfaite entre leurs actes, leurs paroles et leurs pensées.
La véracité est particulièrement exaltée dans la tradition indienne qui affirme au travers des Védas que c’est elle qui maintient l’univers.
Le récit épique et philosophique du Mahâbhârata va jusqu’à dire :
Si le mérite d’un millier de sacrifices était placé dans la balance en regard du mérite de la vérité, c’est encore la vérité qui pèserait le plus lourd.
Le yogi doit donc s’interdire tout mensonge flagrant ou exagération qui entraînerait un flot de conséquences négatives, karma. Mais il doit s’appliquer à une correcte appréhension des faits, exempte de toute distorsion pour des motifs d’intérêts personnels ou d’amour propre. Ce yama est donc plus difficile à appliquer qu’il n’en à l’air. Il faudra éviter de se mentir à soi-même est par exemple un exercice délicat.
Asteya : ne pas s’approprier illégalement ce qui ne nous appartient pas
Le yogi doit éviter le vol et la convoitise. Il ne faut pas prendre ce qui ne nous a pas été donné, ni ce que l’on n’a pas obtenu par des moyens justes. Le cas échéant le yogi s’exposerait à des sanctions, karma. En choisissant l’honnêteté, il se met en principe à l’abri de vengeances et de sanctions. Il peut ainsi continuer sa pratique tranquillement dans sa grotte sans crainte de voir surgir la personne qu’il aurait volé.
Il est dit que le yogi parfaitement établi dans la non-appropriation voit venir vers lui toutes les richesses.
Brahmacarya, la continence
Brahmacarya propose aux yogis un rapport pacifié avec la sexualité.
Le yogi n’applique pas les différents yama juste pour avoir une éthique. Son but c’est d’accédé à la profondeur de son être. Pour ça il applique les différents membres du yoga qui lui permettent d’accroître et d’équilibrer ses énergies subtiles. Sans ce travail il s’endormirait en essayant d’accéder aux méditations profondes.
Voyons le rapport entre la sexualité et les qualités de nos énergies.
Tamas : la qualité de l’énergie qui crée de l’apathie
Il est facile de constater qu’après un orgasme, nous sommes généralement apathique. Surtout chez les hommes chez qui la chute du sperme entraîne immédiatement la chute de la lucidité. Difficile de rentrer en méditation profonde lorsqu’on s’endort dessus. Dans le yoga on appelle l’énergie de l’apathie Tamas.
Raja : la qualité de l’énergie qui crée de l’agitation
Il est aussi aisé de constater que lorsqu’on est en présence de quelqu’un qui provoque une certaine attirance nous sommes agités. Très facile à observer chez des adolescents qui deviennent alors maladroits dans leurs gestes et leurs paroles. Un peu plus subtil chez les adultes mais qui reste facilement décelable.
Une des raisons pour lesquelles les yogis se retiraient souvent du monde pour méditer en paix.
Ce yama propose aussi d’avoir une certaine tenue dans notre attitude vis à vis de la sexualité pour éviter de développer raja. Il est bon de : ne pas y penser, en parler, en plaisanter ou regarder avec insistance.
Facile de voir que les personnes les plus prolixes sur le sujet son souvent très agitées.
Sattva : l’aspect équilibrant de l’énergie
En respectant les propositions vues ci-dessus l’énergie sattva va avoir plus de place pour s’épanouir. Lorsque les énergies du yogi sont équilibrées il peut alors rentrer dans les étapes dites « intérieures ».
Il convient de préciser qu’il faut s’écouter et éviter de frustrer son conjoint. Frustrations et disputes entraînent aussi beaucoup d’agitations. Au pratiquant de trouver son équilibre. Nous vivons dans le monde, ce refrènement n’est donc pas forcément applicable. A chacun de voir ce qui est bon pour lui.
Aparigraha : ne pas être possessif
L’humain a une tendance à amasser indéfiniment les bien matériels.
Les biens entraînent diverses agitations. Prenons par exemple l’achat d’une belle voiture neuve. On va avoir généralement peur qu’on nous l’abîme, ou même qu’on nous la dérobe. De plus les acquérir demande du temps et de l’énergie qui auraient pu être déployés au profit de la pratique.
Le yogi doit s’abstenir d’accumuler les possessions et ne garder que ce qui est nécessaire au maintien de sa vie.
Il est dit que lorsque la non-possessivité atteint sa perfection, la clairvoyance du yogin devient telle qu’il peut connaître ses existences passées.
Yama : les 10 refrènements des upanishades
Les upanishades proposent d’autres refrènements. Ils sont moins connus mais permettent notamment de mieux comprendre et pratiquer ceux développés dans les yoga sutra.
Les yamas dans la Jabala Darshana Upanishad
Dans cette upanishad du yoga,le seigneur Dattatreya, considéré ici comme le maître du yoga propose ceux ci au sage Sankriti venu le questionner.
Le groupê des abstentions (yama) vient en priorité. C’est la pratique des dix restrictions suivantes : non-violence, vérité, non-possession des biens d’autrui, études sacrées, continence, compassion, équanimité, modération alimentaire et pureté.
On découvre donc ici 5 nouveaux yamas :
- l’étude des textes
- la compassion
- l’équanimité
- la modération alimentaire
- la pureté (hygiène)
Brahmacarya consiste à renoncer aux rapports sexuels, que ce soit en pensée en parole ou en acte mais de ne jouir de l’acte sexuel qu’avec son épouse…
Sous l’inspiration de la bienveillance, l’homme se comporte envers toutes les créatures animées, que ce soit en pensée, en parole ou en acte de la même façon qu’il aimerait qu’on se comporte envers lui.
Garder à l’esprit le souci d’équité entre le fils, les amis, l’épouse, les ennemis et son propre soi, voilà ce que l’on appelle la rectitude.
Ô grand sage ! C’est la compassion qui rend l’homme capable de ne pas se sentir insulté ou blessé par des ennemis, même s’il en souffre en pensée en parole ou en acte.
Dans ces 10 refrènements, on peut découvrir divers des Niyama exposés dans les yoga sutra, comme l’étude des textes sacrés et la modération de l’appétit. On notera aussi cette régularité à dire : « que ce soit en pensée, en paroles ou en acte ». Qui propose ces trois aspects mis au même niveau
La Shandilya Upanishad propose les 10 mêmes yamas.
Yama et les erreurs d’interprétations
Il est commun chez les professeurs « d’âsana yoga » de considérer les refrènements comme des devoirs ou comme une preuve de sérieux. De ce fait en profitent pour valoriser leur personne, considérant posséder une morale ou une volonté supérieure… Il n’en est rien.
Les yamas sont certes proposés dans les yoga sûtra et dans certaines upanishades. Pour autant ces textes concernent des voies ascétiques ou brahmaniques. Qui sont des voies ou pour appliquer ces injonctions le yogi se retire souvent du monde et part pratiquer loin de la société et de ses tentations. Tout les yogis ne sont pas des ascètes. Il y a de nombreuses voies qui ne demandent pas l’application des yamas. On pourra le constater en lisant d’autres textes traditionnels.
Il est important de considérer que nous n’avons pas les mêmes dispositions pour contrôler nos pulsions. Il est bien avisé de considérer que les professeurs de yoga n’ont pas forcément le tempérament ou l’intention d’appliquer ces restrictions à la lettre.
Ceci étant il est évident qu’ils facilitent la vie et aident à se sentir bien en soi quand on veut avancer dans la profondeur de la discipline.
Certaines voies comme celle du tantra propose ainsi d’utiliser les « interdits » pour éveiller les énergies. Certains se tiennent loin du feu, d’autres jouent avec… Chacun sa voie, chacun est libre de ses choix, l’univers continuera son chemin quoi qu’il en soit.
Références :
- Tara Michael : les voies du yoga
- Martine Buttex : Les 108 upanishades